" Un autiste profond passe sa vie en prison. Un Asperger la passe au zoo..." - S.F -

mercredi 1 juin 2016

mondes parallèles...

mardi 31 mai, 23h30 :




La réalité n'existe pas. 
La réalité n'existe pas, parce que l'objectivité n'existe pas.
Et l'objectivité n'existe pas, parce que nous sommes humains.

Je viens de m'en rendre compte aujourd'hui. Ce sont des choses auxquelles j'ai déjà pensé, mais sans approfondir. Là, il va bien falloir que j'aille au bout de mon raisonnement, sinon ça va me bouffer la tête. Les mots vont s'écrire encore et encore dans mon cerveau, je n'arriverai pas à dormir, et à deux heures du matin il faudra que je me relève pour les noter quelque part.
donc raccourci, gain de temps, je les écris maintenant. 

Alors reprenons. 
J'affirme que la réalité n'existe pas, je vais nuancer : la réalité existe, mais hors de la perception humaine. Je vous assure que c'est vrai : rien, aucun élément, aucun événement ne peut rester purement factuel dès lors qu'il est appréhendé par le cerveau humain. Et pourquoi ça ? Parce que nous mettons forcément des filtres à toutes les situations que nous vivons, et que ces filtres sont purement subjectifs et infiniment variables d'un individu à l'autre.
Notre cerveau enregistre énormément de paramètres sur notre environnement, instantanément, constamment mais fort heureusement, en "tâche de fond". Les informations arrivant à notre conscience ont d'abord été traitées et triées en fonction de paramètres qui sont propres à chacun. Et elle sont interprétées, forcément. Par nos sens, notre éducation, notre environnement social, notre morale, notre savoir, nos expériences, et que sais-je encore. 

Dès lors, que reste-t-il d'objectif dans ce je vois, dans ce que je vis ? Quelle réalité commune pouvons-nous partager ? En existe-t-il une, au moins ?

Quand la profession hôtelière se réjouit d'un bel été, les agriculteurs se plaignent de la sécheresse. Alors oui, il fait beau, mais pour qui ? Par rapport à quoi ? 
Dans les faits, il a fait doux et il n'a pas plu pendant deux mois. Pour la plupart des gens, cette réalité deviendra celle d'un bel été, et c'est le souvenir qu'ils en garderont, alors que pour d'autres, cet été-là restera un mauvais souvenir. Subjectivité.

Un autre exemple. Placez dix collaborateurs dans une même salle pour une réunion de travail. Un seul et même contexte : deux heures à écouter un intervenant sur une thématique professionnelle, dans une salle climatisée à 20° et éclairée aux néons. 
Une seule réalité, vécue pourtant de dix façons différentes : le premier s'ennuiera à mourir pendant que le second sera captivé, le troisième trouvera les sièges inconfortables alors que le quatrième s'amusera à tenir en équilibre sur les deux pieds arrière, le cinquième sera le seul à avoir trop chaud, le sixième remarquera qu'un néon clignote, ce qui ne dérangera personne à par lui, etc... Et les souvenirs que chacun en gardera seront très différents, alors que tous ont apparemment vécu la même chose. 

Hier, ma psychothérapeute m'a lu un courrier que lui a envoyé mon père à sa demande, puisqu'elle cherche à "pister" le SA dans mon enfance et ma petite enfance. Mon père s'est donc prêté à l'exercice (ce dont je lui suis reconnaissante) et a rédigé un texte extrêmement factuel, décrivant certains événements marquants de notre histoire familiale avec beaucoup de distance, sans implication émotionnelle. 
Cette liste de faits semble très objective, puisque uniquement descriptive, chronologique, informative. 

Sauf que.

Elle en est bien loin. Que d'omissions ! Que d'interprétation ! Que de subjectivité !
Ce qu'il écrit est si éloigné de mes propres souvenirs, les conclusions qu'il en tire sont tellement "jugeantes" et péremptoires, persuadé qu'il est de détenir LA vérité, la vision qu'il a et qu'il a toujours eu de moi est tellement loin de qui je suis vraiment !
Nous avons vécu les mêmes choses pourtant, mais de façon si différente qu'il en résulte deux réalités diamétralement opposées. Nous vivons dans deux mondes parallèles qui, par définition, ne se rencontreront jamais. 



Je comprends aujourd'hui à quel point ça a toujours été difficile pour lui de m'aimer, les filtres qu'il a dès qu'il pose le regard sur moi sont tellement déformants ! 

Alors oui, j'ai mal. J'ai très très mal même si j'avais compris cela depuis bien longtemps. Les plaies que je pensais cicatrisées sont à nouveau ouvertes, ça fait 45 ans qu'elles tentent de se refermer, en vain.

Et voilà comment je réagis. Voilà comment fonctionne mon cerveau : j'intellectualise, j'élabore de toutes pièces une théorie qui a déjà été développée avant moi, par des gens bien plus compétents et avec bien plus de talent. Sauf que moi, c'est ma pensée propre. Je n'ai jamais rien lu à ce sujet, même si je sais que cette théorie existe. 
Voilà à quoi me sert mon HQI : à réinventer l'eau chaude ! le fil à couper le beurre ! le pas de vis ! pi ! le zéro ! 

C'est dramatiquement inutile. Mais c'est mon fonctionnement. 

Je crois que ça me permet de me tenir à distance de mes émotions pour un temps. A distance de mon cerveau, mais pas de mon corps. Elles viennent se nicher à des endroits précis, c'est d'ailleurs grâce à cela que je peux les identifier. 
L'angoisse me chatouille le plexus solaire. 
La colère me serre l'estomac.
La tristesse, c'est comme un poids au niveau du cœur.
L'amour, c'est aussi au niveau du cœur, mais c'est comme une porte qui s'ouvre.

Aujourd'hui, je sais que je suis en colère, angoissée et très triste. 
Ca passera, comment et dans combien de temps je ne sais pas, mais ça passera.

En tous cas, à cet instant précis j'en déduis deux choses, deux toutes petites certitudes mais qui n'en sont pas, vu le nombre de questions qu'elles posent :

La première, c'est que je devrais me sentir soulagée, car  libérée du regard et du jugement de mon père. Car enfin, à quoi bon vouloir encore essayer de ressembler à l'image qu'il a de moi, puisque c'est totalement impossible ? A quoi bon tenter de ne pas le décevoir, puisqu'il le sera forcément ? A quoi bon tenter de lui expliquer, puisqu'il n'entendra pas ? A quoi bon vouloir à tout crin lui faire partager ma réalité, puisque de son monde il ne peut même pas la concevoir ?

La deuxième, c'est que je peux finalement étendre ce raisonnement à tout ce et tous ceux qui m'entourent. Cette société n'est pas la mienne, ce monde du travail n'est pas le mien, ces codes n'ont aucune raison d'être dans mon monde à moi, ma réalité n'est pas, et ne sera jamais la vôtre. Et bien sûr, réciproquement. Alors, le titre de mon blog serait-il purement utopique ? Est-il possible de créer des passerelles entre nos différents mondes ? Est-ce souhaitable ? Est-ce faisable ? 
Ne ferais-je pas mieux de couper au contraire tous les ponts, de peaufiner ma planète et de ne laisser surtout à personne le pouvoir de la détruire ? 

Voilà en tous cas un témoignage objectif de ma totale subjectivité, voilà ce qui se passe en moi dès lors que mes neurones s'agitent un peu trop fort. Alors, typiquement Asperger ou pas du tout ? Je n'en sais rien, vous en pensez quoi, vous ?
Et vous, comment gérez-vous vos émotions ? Le partage serait intéressant.
Je ne sais pas si vous pouvez laisser des commentaires sur mon blog, vu que je n'en ai aucun pour l'instant. Mais si c'est le cas, et si vous souhaitez réagir, n'hésitez pas à le faire.
Sinon, écrivez-moi par mail à unpontentredesmondes@gmail.com, je serais ravie d'entamer toute discussion à ce sujet !


PS : Au hasard de mes pérégrinations sur le web, je tombe sur le PDF intégral d'un ouvrage intitulé "L'univers est un hologramme", de Michael Talbot. Une fois téléchargé, j'entame la lecture de la préface, signée du journaliste et écrivain Patrice Van Eersel. Et voilà ce que j'y lis :

S'il fallait raconter en une seule mot la Renaissance qui, à partir du XVe siècle engendra la modernité, on pourrait, je crois, s'arrêter à celui-ci : lentille - que les opticiens appellent aussi objectif.
La lentille permet de construire des microscopes et des télescopes, et donc de pénétrer les univers infiniment petit et infiniment grand. Elle constitue surtout un filtre traducteur entre le monde (inconnu à priori) et notre conscience (qui nous est donnée d'emblée). [...]
En réalité, c'est toute une vision du monde que la lentille va introduire à partir du XVIe siècle : peu à peu, seuls ses "filtrages" seront reconnus comme représentants légitimes du réel. Et comme une lentille (objectif) ne peut traduire le-dit réel qu'en terme d'objets [...] , seuls les objets seront donc décrétés vraiment "réels". La phrase "ceci est objectif" deviendra synonyme de "ceci existe". Alors que "cela est subjectif" voudra plutôt dire -derrière une aumône de reconnaissance, au nom de la liberté d'opinion- : "cela est sujet à caution" ou "cela relève du fantasme", et donc, au bout du compte, "cela n'existe pas".

Voilà de quoi étayer mes réflexions... et les vôtres aussi, en tous cas je l'espère !